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Midi-Libre, 3 December 1967


Il eut Pu Etre Un Plaisant Canular, Mais...

Par une étrange alchimie et grâce aux naifs
l“or de rennes” peut se transmuter en argent


Nous n'allons pas raconter, une fois de plus l'histoire, ou plûtot la fable, du trésor de Rennes. Elle a été cent fois évoquée par la presse locale et tout ce qui pouvait étre historiquement contrôlable a été dit depuis longtemps. Cependant, voici qu'un livre récemment paru semble vouloir embrouiller de nouveau ce qui était assez clair, spéculant sur le besoin de mystère et de fantastique que chaque homme porte dans son tréfonds.

Ce besoin explique d'ailleurs le succès des revues, livres et films où se mélent l'histoire et la fable, la science et la fiction. Procédé courant, cela s'appelle, romancer les faits et il n'a rien de malhonnète lorsqu'il ne vise pas à tromper, mais seulement à divertir.

Ce n'est pas le cas du livre cité, paru sous le titre alléchant de “L'Or de Rennes, ou la vie insolite de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château”. Si nous en croyons les avis des gens les plus compétents, son auteur n'a pas su, pu ou vouiu faire de l'histoire romancée. C'est bien dommage, car il semble avoir quelque don. Mais il a choisi de tenter une opération beaucoup plus difficile dans un pays où les gens sont assez bien renseignés: celle de donner un semblant de consistance aux fables les plus échevelées.

M. “On”
personnage commode


Nous avons parcouru “L'Or de Rennes” par devoir professionel, y glanant rapidement quelques “détails” significatifs quant au but commercial de l'auteur. On y trouve, en effet, des entretiens vieux de 70 ans, secrets de par leur nature, même, qu'“on” lui a rapportés mot par mot et qu'il n'hésite pas à insérer, sans autre précision, en dépit du caractère injerieux qu'ils présentent pour la mémoire de telle ou telle autre personnalité décédée.

Cette façon détachée de faire de l'histoire nous a suggéré l'idée de procéder à quelques contrôles. Voici ce que Mgr Boyer, vicaire général du diocèse, nous a dit après avoir lu rapidement les propos incroyables attribués par “on" à un évéque de Carcassonne:

“Je vous autorise à écrire que je suis profondément indigné par de telles affirmations contre lesquelles je m'inscris résolument en faux.”

C'est encore “on” qui aurait confié à Gérard de Sède, les copies de deux documents manuscrits chiffrés, relationnés avec le prétendu trésor, et c'est la photocopie de ces copies (!) qui avait été confiée à M. Descadeillas, conservateur de la bibliothèque de la ville et remise par celui-ci à M. Deban, diplômé de l'école des Chartes et directeur des archives départementales, aux fins d'examen.

Le livre de Gérard de Sède rapporte les conclusions, en quatre points de cette expertise. Or, il résulte de la visite que nous avons faite à M. Deban, que si les trois premiers points sont assez correctement transcrits sur le livre, le quatrième l'est dans un sens fort différent, sinon opposé, de celui que l'érudit archiviste lui avait donné.

Que pensent de ce livre les gens du pays, ceux qui ont connu l'abbé Saunière ou Marie Dénarnaud? Voici l'avis de M. Lucien Gibert, 74 ans, retraité de la Banque de France et co-propriétaire du château de Montazels, patrie de l'abbé Saunière:

“J'ai connu le curé de Rennes de vue, mais j'ai connu beaucoup mieux sa servante. Vers les années 1923-1924, elle m'offrit un jour un énorme caisse de timbres-poste, français et étrangers, oû il y en avait des milliers et des milliers. Timide, je n'osai pas les emporter sur l'heure. Quand je revins, elles les avait déjà donnés. Plus tard, elle me demanda de l'aider à vendre le château ou'elle me fit visiter. Dans la bibliothèque, j'ai vu avec quelque surprise une collection reliée de “La vie parisienne”. Elle voulait obtenir 100,000 F pour l'édifice et elle me promit un joli christ en ivoire si je lui trouvais acquéreur.”

“Quoiqu'il en soit, je ne crois pas que le curé de Rennes ait jamais découvert un trésor fabuleux. Il faut chercher ailleurs le secret de ses richesses soudaines. Il avait probablement fait paraitre sur de nombreux bulletins paroissiaux, tant français qu'étrangers, un appel à la généreuse piété des fidèles pour la restauration de son église. En tout cas, l'argent arrivait de partout.”

– Avez-vous lu le livre de Gérard de Sède sur “L'Or de Rennes”?

– Non, mais je ne crois pas qu'il y ait eu de l'or, mais seulement des mandats”.

Cordon bleu
et acteur “télévisé”
ou l'art d'accommoder
les restes

M. René Delpech qui est, lui aussi, originaire de Montazels, mais vit actuellement à Quillan, oû il s'occupe d'assurances, du syndicat d'initiative et de “Midi-Libre”, a lu, lui, le bouquin de Gérard de Sède:

“Je ne crois pas au trésor. Les faits ont été souvent gonflés à des fins publicitaires.”

“Du temps oû l'abbé Bérenger Saunière était curé de Rennes, l'un de mes parents, Edouard Saunière (aucun parenté avec le prêtre) y était instituteur. Je tiens de lui que souvent, lorsqu'il descendait à Couiza, le curé lui confiait des poignées de mandats, le priant d'aller les encaisser à la poste.”

“C'étaient des sommes minimes, 0,25 F, 0,50 F ou 1 F. Mais il en recevait une multitude. Probablement, le curé avait fait beaucoup de publicité pour la restauration de son église dans toute la France, et même à l'étranger. Si la légende du trésor est si tenace, c'est parce qu'on l'a soigneusement entretenue. Je pense, par exemple, à l'hôtelier du village à qui il est arrivé même de se déguiser en “curé de Rennes” pour les besoins de la télévision. ”

“Le 21 juillet 1960, 'Midi-Libre' rapportait une “trouvaille” cocasse: un document découvert dans l'angle de dieux pierres par un magnétiseur et la dame qui lui servait de médium. Ces gens étaient nourris et logés à l'hôtel, pendant de longues périoldes. En 1959, partant pour la capitale, ils ont déclaré à la presse: Nous sommes dans la bonne voie. Nous reviendrons au printemps pour porter au trésor le coup de grâce. C'était je pense, une excellent publicité pour l'hôtelier qui savait accommoder les restes.”

– “Que pensez-vous du livre “L'Or de Rennes”, lui avons-nous demandé? ”

– “Absolument fantaisiste, mais il se laisse lire”

*
* *

Nous ne pensons pas qu'il soit utile ni même bon de faire une plus grande publicité à cet ouvrage qui risque d'être décevant, non seulement pour ceux qui désirent connaître la vérité des faits, mais même pour ceux qui ne cherchent qu'une lecture amusante.

R. M.


Rennes-le-Château Misconceptions

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